Jeudi 28 mars 2024 –Jeudi Saint 2024 –La Sainte Cène – Homélie du P. Claude Charvet sj

« Il les aima jusqu’au bout » (Jean 13, 1-15)

Ces textes, si connus, si simples, si concrets en actes et en paroles, sont sans doute ceux qui disent la plus grande profondeur de l’amour de Dieu pour nous et l’invitation à entrer dans le même mouvement qu’inaugure Jésus, notre Maître et Seigneur. Un signe pour que nous croyions davantage, un geste pour aimer la vie jusqu’au bout.

  1. Tout est centré sur Jésus qui vit sa dernière Pâque, son dernier passage vers la vie, avec une très haute conscience qu’il passe de ce monde à son Père. Jésus veut dire « Dieu sauve ». Jésus est présenté comme le sujet actif, le sujet conscient : Il ne subit pas, il y va, il est dans le Père et le Père est en lui. Le visible de la Passion, c’est qu’il est livré sans défense à la violence et à la bêtise humaine : on va le traîner dans les rues devant des tribunaux fantoches ou lâches, les soldats vont faire de lui leur marionnette et vont jouer au jeu du roi tourné en dérision et finalement Pilate s’en débarrassera comme un colis encombrant. Jean l’évangéliste n’omettra aucune de ces péripéties pitoyables, mais il s’arrange pour conduire son récit comme un croyant qui fait apparaître l’invisible : Jésus arrêté, jugé, condamné, exécuté, Jésus est « le Maître et Seigneur, il est l’est vraiment ». Il donne sa vie et aime jusqu’au bout. Il domine les agitations comploteuses des juifs et les faiblesses de Pilate. Il domine les angoisses de ses disciples parce qu’il a conscience d’accomplir la mission que son Père lui a confiée. Il sait que c’est bien le diable qui a mis dans le cœur de Judas Iscariote l’intention de le livrer. Il sait que c’est l’heure où le diable va « être jeté dehors ». Pas question de laisser le diable mener le bal. Jésus sait que le Père a tout remis entre ses mains, Il est uni à lui, il est dans sa main. C’est lui le vrai sujet, le vrai acteur, le Fils bien-aimé « qui vient du Père et qui retourne à Père ».
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  2. « Il se lève de table, dépose son vêtement et prend un linge qu’il noue à sa ceinture. Puis il verse de l’eau dans le bassin, il se met à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint. » Que des gestes très corporels, comme si les choses spirituelles les plus hautes sont à vivre, pour être vraies, dans un réel très concret : laver les pieds ou les parties intimes d’un malade, passer de la crème sur des membres handicapés, coiffer sa mère sur son lit d’hôpital, cuisiner le petit plat qui fera plaisir à celui que j’accueille, créer une relation de personne à personne dans un « toi à moi » si simple, voilà le chemin que nous montre Jésus. C’est un geste d’hospitalité, comme Abraham à Mambré, comme Marthe à Béthanie. Chacun se sent accueilli tel qu’il est, qu’il soit prince ou pauvre, reine ou abandonnée, Jésus vient à mes pieds, me prend dans ses mains, sait m’accueillir au point où j’en suis. Jésus me propose de faire à mon tour ce qu’il vient de faire pour moi. Une forme de réciprocité qui construit la fraternité, un service qui me permet d’aimer, un amour qui sert simplement parce que tu es mon frère, tu es ma sœur. Aimer servir, servir en aimant. « En todo amar y servir ».
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  3. Pierre a bien du mal à entrer dans cette manière d’aimer comme Jésus. C’est comme s’il en restait au niveau des images de Maître et d’esclave, du fils ainé de la parabole qui fait bien le travail que son père lui donne à faire, ou de la Bonne Action, la BA des scouts. Jésus veut nous initier au mystère de sa mort et de sa résurrection : c’est en descendant dans le lieu où nous sommes le plus terrestre, le plus sali, en épousant le pire de notre condition mortelle avec ce qu’elle inclut de déni, de reniement ou de trahison, c’est là que Jésus se révèle le Maître et le Seigneur. C’est en devenant le Très Bas avec Jésus que Dieu se manifeste comme le Très Haut. Quand je vois Jésus aux pieds de Pierre avec son tablier de serviteur, il me donne à voir jusqu’où peut aller « aimer les siens jusqu’au bout, donner sa vie », vivre la mort et la résurrection. A moi maintenant d’entrer dans ce même mouvement : chaque fois que je me mets en position de serviteur, je fais « passer » l’autre, je le fais sortir de la servitude et je célèbre le don que Jésus nous fait : « j’annonce la mort et la résurrection du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. » En aimant à la manière de Jésus, en nous lavant les pieds les uns des autres, nous témoignons d’un Dieu qui nous aime tellement, qu’il se met à nos pieds pour nous servir, pour nous donner d’avoir part avec lui, pour être lumineux comme lui.