« Ceci est mon corps, ceci est mon sang »
(Jésus Christ selon saint Marc 14, 12-16.22-26)
La Pentecôte avec le don de l’Esprit Saint se développe d’une manière solennelle encore en ce dimanche de la Fête-Dieu, où l’on contemple le récit du dernier repas de Jésus avec les 12. Le texte de l’exode nous invite à le lire dans le rituel magnifique d’une alliance avec tout le peuple.
Cette liturgie de l’Exode est très interactive et permet de faire l‘unité du peuple autour de Moïse, d’Aaron et ses deux fils et des 70 anciens. A la lecture des 10 commandements, la réponse fuse par deux fois : « Toutes ces paroles que le Seigneur a dites, nous les mettrons en pratique. » Le sang des taureaux offerts en sacrifice de paix est d’abord versé sur l’autel pour honorer Dieu, l’auteur de toutes les paroles de vie, puis sur le peuple qui veut accomplir ces paroles d’alliance dans sa vie quotidienne. Déjà, dans le Premier Testament, Dieu se choisit un peuple pour conclure avec lui une alliance sur un autel, avec aussi 12 pierres dressées pour les 12 tribus d’Israël. L’unité du Peuple devient solide. « Moïse, Aaron, ses deux fils et les 70 anciens contemplèrent Dieu puis Ils mangèrent et ils burent. » conclut le texte de l’exode.
Dans Saint Marc, le récit de la Pâque, le dernier repas de Jésus, est précédé de l’annonce de la trahison de Judas et suivi de l’annonce du reniement de Pierre et de la dispersion des Douze, comme si ce repas de communion était le dernier signe d’unité avant la dislocation des personnes et du groupe.
Le geste de Jésus reprend celui de tout père de famille juive au début d’un repas. Selon l’usage, celui-ci prenait du pain, prononçait la bénédiction à laquelle tous répondait « Amen », puis il détachait un morceau pour chacun des convives et le leur donnait ou le faisait passer de main en main ; il en mangeait le premier et tous l’imitaient. Jésus aussi prend du pain, non pas le pain azyme de la Pâque juive, mais le pain dont on se nourrit chaque jour, celui qu’il avait partagé par deux fois en terre juive puis païenne. Il s’éloigne ainsi de la célébration du Seder juif, donnant une signification au geste qu’il va poser, beaucoup plus prophétique que rituel. « Il prononce la bénédiction, rompt le pain et le leur donne ». Cette bénédiction est proche de celle que le prêtre dit à l’offertoire : « Tu es béni, Seigneur notre Dieu, roi de l’univers qui fait sortir le pain de la terre » Mais rompre le pain prend ici un sens très fort : Jésus annonce que son corps sera brisé sur la croix, aboutissement d’une violence injuste et aveugle à laquelle il décide de ne pas résister. Il rompt lui-même le pain signifiant qu’il accepte de donner librement sa vie ; en donnant ce pain, il se donne lui-même, nourriture pour tous, partagée entre tous. Prenez : il sollicite leur liberté, leur adhésion ; il les implique très personnellement. Ceci ne désigne pas seulement le pain en lui-même mais ce pain qui a été rompu et partagé. Il les invite par là à se donner eux-mêmes dans le même mouvement, à partager avec d’autres, à devenir à leur tour nourriture pour tous, des ‘hommes mangés’. On ne pourra jamais supprimer de l’Eucharistie sa dimension économique et politique du partage et de la solidarité, en la réduisant à une célébration cultuelle ou à une nourriture personnelle. Ceci est mon corps : pour les juifs, le corps désigne toute la personne en tant qu’elle est présente aux autres, en relations avec eux. Quand les Douze rompent le pain et le partagent, quand ils se donnent eux-mêmes en posant ce geste, ils sont réellement le corps du Christ, sa présence réelle dans le quotidien des jours. « Vous êtes le Corps du Christ » disait déjà saint Paul aux Corinthiens. Marc reprend la même perspective.
Jésus accomplit les gestes similaires sur la coupe de vin. Il la prend, rend grâce, la leur donne. Ils la boivent avant que Jésus ne leur dise : Ceci est mon sang. Sa parole ne concerne pas le vin en lui-même, mais le vin bu par les Douze ; ils sont devenus ce qu’ils ont consommé : le sang de l’alliance. Jésus renouvelle le rite de l’alliance jadis conclue entre Dieu et Moïse : son sang n’est pas répandu sur les disciples pour les purifier, il est consommé par eux, signe d’une communion de vie avec lui et entre eux. Quand ils boivent le vin en donnant eux aussi leur vie, ils sont la présence du Christ au cœur même de la violence qui défait l’histoire, ils prolongent l’alliance de génération en génération. Alors, la communauté qui partage la coupe de l’eucharistie est une communauté de service, dans la non-violence, à l’image du Christ serviteur qui donne sa vie pour tous et qui nous invite à donner nous aussi notre vie pour tous.
Heureusement qu’après la consécration du pain et du vin qui deviennent réellement le Corps et le Sang du Christ, retentit la parole : « Il est grand le mystère de la foi »… C’est l’Esprit de Pentecôte qui nous permet de répondre même si nous n’avons pas tout compris : « Nous annonçons ta mort, Seigneur Jésus. Nous proclamons ta résurrection. Nous attendons ton retour dans la gloire.
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