29e dimanche du Temps Ordinaire, année A – Homélie du P. Claude Charvet sj

Les pharisiens, cherchant l’appui des Hérodiens qui collaborent avec les Romains, veulent tendre un piège à Jésus sur les questions politico-religieuses qui sont souvent complexes. Ils disent du bien de Jésus sur deux points fondamentaux :

  1. « Tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité. » C’est une belle reconnaissance que Jésus accomplit le premier commandement que le prophète Isaïe dans la première lecture nous rappelle : « Je suis le Seigneur, il n’y en pas d’autre : hors moi, pas de Dieu. » Jésus est reconnu comme celui qui peut « adorer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit » et l’enseigner avec autorité.
  2. « Ce n’est pas sur l’apparence que tu considères les gens. » Jésus sait accueillir chacun au point où il en est et dans l’état où il se trouve : femme prise en flagrant délit d’adultère ou père d’un enfant qui a des crises d’épilepsie, lépreux exclus de toute vie sociale et religieuse ou veuve qui met sa piécette dans le tronc du temple… Chacun est rencontré pour lui-même, tel que Dieu l’accueille et le voit dans le secret.

Les pharisiens savent dire du bien de Jésus parce qu’ils voient que cela est vrai. On n’est pas loin de ce que Jean fait dire à Jésus : « Je suis le chemin, la vérité et la vie ». C’est une proposition qui peut vraiment fonder la vie d’un chrétien qui a rencontré Jésus. Or Jésus a un réflexe qu’il va chercher dans les béatitudes de l’évangile de Luc « Quel malheur pour vous lorsque les gens disent du bien de vous ! C’est ainsi en effet que leurs pères traitaient les faux prophètes » (Lc 6, 26). Il ne se laisse pas endormir par le bien qu’on dit de lui, mais entend la façon perverse de poser la question en termes de « permis ou défendu » : « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César l’empereur ? » C’est une façon de le mettre à l’épreuve et de le pousser à la faute : S’il répond « oui » il faut payer l’impôt à César, le peuple risque de se désolidariser de lui comme collaborateur des Romains. S’il répond « non », il risque d’avoir des problèmes avec l’occupant. Ce « oui ou non » reflète bien la perversité des pharisiens que Jésus dénonce vigoureusement « Hypocrites ! » Je peux laisser revenir à ma mémoire toutes les fois où je pose les questions en termes de « oui ou non » ou « de permis ou défendu » et où j’attends que Dieu ou les autres se positionnent pour valider ou non mes choix…Seigneur garde mon esprit lucide et mon cœur ouvert pour détecter les pièges qui me sont tendus.

Comme « un bon jésuite », Jésus répond à une question par une question. En montrant la pièce de monnaie de l’impôt et en demandant de qui elle est, Jésus met ses adversaires dans l’obligation se positionner. Dès lors Jésus les pousse à aller au bout de leur réponse et il leur révèle leur logique contradictoire. La décision de payer l’impôt doit prendre ses racines dans la foi : il appartient à l’homme d’y répondre et Dieu lui laisse toute liberté pour cela. Dans l’esprit des pharisiens, on ne peut servir à la fois l’empereur et Dieu. Aujourd’hui encore, avec la complexité des questions de laïcité, une certaine lecture peut nous entraîner à durcir ou à mélanger les liens entre le temporel et le spirituel. Jésus, en distinguant sans exclure, dépasse les logiques d’opposition et de mélange. Toute chose concerne Dieu et c’est la vie de Dieu que de rendre à César ce qui est à César. Car c’est dans la vérité des relations humaines et sociales que se joue la vérité de la relation avec Dieu.

Si la réponse donnée par Jésus semble d’une simplicité biblique, son application est un défi : faut-il vraiment payer un impôt qui est imposé par un occupant brutal et qui nie la foi juive ? Au-delà de l’impôt, c’est bien la relation au politique et au monde qui nous entoure qui est interrogée. Il peut arriver que la foi nous invite à réagir et à nous opposer à ce qui est injuste. Cette scène, au-delà de la « perversité » que dénonce Jésus sur le chemin qui le mène à la croix, est une invitation à ne pas fuir le monde complexe qui est le nôtre et dans lequel Dieu a choisi de s’incarner. Seigneur Jésus, fais grandir mon intelligence et ma foi pour que je crois que Dieu veut sauver tout homme, qu’il soit pharisien ou empereur ou ton disciple un peu trop fragile. Amen.