24e dimanche du Temps Ordinaire, année A – Homélie du P. Claude Charvet sj

La question de Pierre est une manière de partir de la vie quotidienne que chacun de nous peut expérimenter en famille, au travail, en Eglise ou dans des associations : « Combien de fois dois-je pardonner à celui qui commet une faute contre moi ?  Jusqu’à 7 fois ? » La réponse de Jésus nous permet de faire plusieurs pas en avant.

Faut-il compter les fautes ? Faut-il compter les pardons ? Pierre est sans doute très généreux en proposant 7 fois car les rabbins de l’époque avaient du mal à aller au-dela de 3 fois. Il a besoin de cadre précis pour se faire respecter dans son corps, dans sa maison, dans son travail d’artisan pécheur, dans sa ville de Capharnaüm… Il veut bien pardonner patiemment jusqu’à 7 fois à celui qui lui fait du mal, mais il n’a pas envie de se faire tondre comme un mouton…. Jésus lui répond : « non pas 7 fois, mais jusqu’à 70 fois 7 fois… », ce qui fait 490 fois ! Jésus fait exploser nos représentations et nos calculs trop raisonnables. Il nous demande de regarder lucidement les personnes avec qui les relations sont difficiles, la confiance limitée, les griffes prêtes à déchirer. Au fond, j’aimerais bien leur pardonner, mais par mes propres forces, je n’y arrive pas…Alors je confie tout cela au Seigneur et je me laisse déplacer par la parabole.

Une sacrée histoire : Jésus raconte que d’un côté il y a un roi qui remet une dette colossale à son serviteur car il est saisi de pitié par son attitude (il tombe à ses pieds, reste prosterné) par les ses mots : « Prends patience envers moi et je te rembourserai tout » (60 millions de pièces d’argent, c’est 60 millions de journées de travail, à l’échelle d’une vie de travailleur, c’est impossible à rembourser…) Emu aux entrailles, le roi remet toute sa dette à son serviteur et le laisse partir. De l’autre côté de la parabole, ce même serviteur reste insensible aux supplications d’un compagnon qui a une petite dette envers lui (100 journées de travail…) Prenons la mesure de ce qui est raconté là : mettons-nous tour à tour à la place du roi, du serviteur, de son compagnon, des spectateurs qui assistent à la scène et qui sont profondément attristés de voir ce qu’ils voient au point de venir trouver le maître, non pas pour « cafter » mais pour dénoncer cette injustice. Qu’est-ce que je ressens quand je me mets dans la peau de chacun des personnages ? Nous prenons quelques instants de silence pour laisser remonter ce que nous ressentons…

« Aimer comme Jésus » Suite à la tristesse et à l’indignation des serviteurs, le roi entre dans une grande colère : « Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?» C’est une sainte colère qui doit nous bousculer. Faire l’expérience d’être pardonné par Dieu fait découvrir qu’il nous aime jusqu’à nous pardonner. Cela ouvre en nous une source de tendresse qui peut se répandre auprès de nos frères et construire une nouvelle fraternité. Le débiteur impitoyable retient captive la miséricorde de Dieu : en refusant de la communiquer aux autres, il l’empêche de prendre corps en lui. Il ne veut pas comprendre qu’il a reçu la liberté d’aimer comme Dieu et qu’il peut ainsi devenir libérateur de ses frères comme le Père l’a libéré. Il nous est donné aujourd’hui d’accueillir et de partager le pardon reçu du Père : dans la mesure où chacun remet à son frère « du fond du cœur » comme Dieu lui remet, dans cette mesure le pardon toujours premier du Père s’accomplit dans la communauté et dans chacun de ceux qui le partagent à leurs frères et sœurs. Ainsi se découvre la profondeur de la demande du Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés »…

Un dernier mot : le pardon est un chemin quotidien qui ouvre vers une réconciliation. C’est déjà une forte expérience spirituelle d’entrer dans la dynamique du pardon. La réconciliation peut demander beaucoup plus de temps surtout quand il y a des abus d’autorité, de conscience ou des abus sexuels dans un cadre qui sait cacher son côté systémique…Plusieurs instances sont alors à mettre en œuvre pour avancer vers le salut qu’apporte le Christ qui est « le chemin, la vérité et la vie »

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Amen