Dimanche 3 mars 2024 – 3e dimanche de Carême – Homélie du P. Claude Charvet sj

« Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai » (Jn 2, 13-25)

Il est assez rare de voir Jésus en colère : il le fait quand on ne respecte pas les enfants, ici c’est dans le Temple, la maison de son Père. Saint Jean l’évangéliste nous met au travail pour que nous évangélisions nos colères et nos échecs.

Les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, les changeurs de monnaie passent un mauvais quart d’heure : le fouet à cordes que Jésus fabrique s’abat sur eux, il leur crie dessus avec vigueur : « Enlevez tout cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. » Quand on sort de la gare de Saint-Denis à des heures d’affluence et que l’on doit se frayer un passage au milieu des vendeurs de cigarettes, des femmes assises présentant des sachets de nourriture, des vendeurs de châtaignes sur leurs braséros, on peut se sentir un peu en insécurité. Quand on est bousculé par les mêmes personnes parce que la police fait une descente, vient “nettoyer” les vendeurs de la place et de la passerelle, on dirait une volée de moineaux qui s’éparpille à toute vitesse avec une grande agilité et beaucoup de bruit. À la gare de Saint Denis, je peux me dire, dans un premier temps, que la police municipale fait bien son travail de sécurité et que je peux rentrer tranquillement chez moi. Je peux le vivre aussi comme le jeu du chat et de la souris. En rencontrant des jeunes qui essaient de vivre de ce petit commerce, je peux comprendre le cycle de violence dans lequel ils se trouvent à devoir rembourser des prêts à des taux usuraires, à subir des violences entre vendeurs, squatteurs, drogués en manque. On a bien sous les yeux une nouvelle forme d’esclavage. Des mesures de sécurité sont sans doute nécessaires, mais on est bien obligé de se poser d’autres questions de prévention, d’éducation, de vie associative, de politique des villes de banlieue. On ne pas rester à rugir de colère et de peur ; quels leviers choisir pour construire ensemble une nouvelle façon de vivre en ville ? C’est à plusieurs que l’on pourra commencer à faire des choses toutes simples… 

Pour les marchands du Temple à Jérusalem, des juifs interpellent Jésus sur le sens de sa colère : « Quel signe peux-tu donner pour agir ainsi ? » Jésus leur répond : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai. » La riposte des juifs est cinglante : « Il a fallu 46 ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » 46 ans face à 3 jours ! Ce n’est pas une réponse ! C’est inaudible ! c’est aussi inaudible que la jalousie de Dieu dans la première lecture : « la faute des pères est punie jusqu’à la 4e génération », alors que la fidélité à suivre les commandements dure jusqu’à la millième génération ! Quel écart ! 1000 générations pour la fidélité ; 4 générations pour la faute… Quand on a de tels chiffres, surtout pour ceux qui n’aiment pas les chiffres, on voit bien qu’il faut passer sur un autre registre ! Jean fournit tout de suite le changement de registre : « il parlait du sanctuaire de son corps. » Il s’agit de passer du sanctuaire du Temple au sanctuaire du corps de Jésus, de sa Mort et de sa résurrection. En parlant de son corps, Jésus parle de sa propre mort que les hommes (juifs et romains) lui infligeront sur la croix. Mais il parle aussi de son relèvement, de sa Résurrection. Chez Saint Jean, mort et résurrection sont toujours liés. Il nous demande de regarder vers le crucifié dont le coup de lance transperce le cœur d’où coule de l’eau et du sang, les signes du baptême et de l’eucharistie. Le sanctuaire construit en 46 ans peut disparaître avec ses marchands et ses commerces. Désormais, en regardant le corps de Jésus ressuscité, nous pouvons contempler que son Père le fait passer de la mort à la vie, que son corps n’est plus dans le tombeau vide ; l’amour du Père a relevé son Fils d’entre les morts ; et ses disciples se rappellent qu’il avait dit cela.

Alors pour nous, ce dimanche matin où nous faisons mémoire de la résurrection du Christ, nous sommes invités à croire aux paroles de Jésus, à croire les Écritures qui nous les rapportent et comment Jésus accomplit les Écritures. Nous sommes invités à quitter nos peurs et nos gémissements : « Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour qu’il m’arrive de tels ennuis ? C’est le destin ! » Nous sommes invités à nous poser la question différemment : « Il m’arrive un malheur ! C’est pour en faire quoi ? » La réponse peut être longue à trouver. Les disciples de Jésus nous invitent à croire en un Messie crucifié et ressuscité, à croire que l’amour est la seule force capable de faire de la vie avec tout, même avec de l’esclavage ou de la destruction du Sanctuaire. Le chrétien c’est celui qui croit que la mort et la résurrection du Christ sont la clé du monde. Amen.