« Rabbouni, que je retrouve la vue »
Évangile selon saint Marc 10, 46b-52
Il faut qu’il se passe quelque chose de bien essentiel pour qu’un aveugle mendiant qui était au bord du chemin en arrive à suivre Jésus sur le chemin. On connait l’aveugle Bartimée, le fils de Timée ; c’est la dernière guérison de l’évangile. Un modèle qui donne une clé de lecture de toutes les guérisons.
1. Bartimée est un exclu en étant mendiant, dépendant car il est aveugle et doit être conduit chaque jour sur son lieu de mendiance. Mais il a deux qualités qui lui font traverser tous les obstacles : il entend (Shema Israel Adonai elohénou, Adonai erhad) il n’a rien vu de ce que Jésus a fait dans trois ans de vie publique. Mais Il a entendu parler de Jésus et parce qu’il est habité par un immense désir de vivre (deuxième qualité) : il sait reprendre les mots du psalmiste qui supplie le Seigneur d’avoir pitié de lui, de le tirer de sa détresse. Il entend que c’est Jésus de Nazareth, mais comme Pierre poussé par l’Esprit, il l’appelle « Fils de David, Jésus » comme s’il reconnaissait ainsi que Jésus était le Christ, le Messie. Alors rien ne l’arrête : il le crie. Sa foi traverse les menaces de ceux qui le rabrouent pour qu’il se taise. Il crie de plus belle : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! »
2. Jésus s’arrête. C’est la seule et unique fois que Jésus s’arrête dans le récit : cette scène est comme un arrêt sur image : servir, donner sa vie, c’est ici et maintenant, s’arrêter parce qu’un pauvre, un exclu crie vers lui dans la vérité de ce qu’il est. Tout le sens de la montée à Jérusalem et de la Passion est déjà là comme en noyau : sauver de la misère celui qui se livre à lui dans la foi. Jésus n’appelle pas l’aveugle lui-même, il ne lui adresse pas la parole directement, il passe par la foule. C’est étonnant et ce n’était jamais arrivé. Certains dans la foule se font ses intermédiaires pour communiquer à cet homme un élan de confiance : « Confiance, lève-toi, il t’appelle » Ces mots supposent que ceux qui les prononcent sont eux-mêmes habités par ce qu’ils disent : on ne peut pas dire à quelqu’un ‘confiance’ si on n’y croit pas soi-même un peu. L’entourage de Jésus a été transformé ; le message de Jésus passe et l’effet est saisissant. L’aveugle jette son manteau de mendiant et tout ce qui pourrait freiner son élan ; il se risque tout entier dans sa démarche ; il n’a plus aucune assurance même pas celle qu’il lui donne la vue. Il bondit vers Jésus sur la seule parole de quelques témoins : sa foi est en acte.
3. Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Cette question pourrait passer pour inutile tellement c’est évident et pourtant ! Pour retrouver toute sa dignité d’homme nouveau, Bartimée doit passer du cri à la parole, mettre en mots le désir qui l’anime au profond de lui : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Ce titre dit, comme pour Marie de Magadala dans Saint Jean, une déférence teintée d’intimité et de familiarité ; la relation avec Jésus s’instaure directement, sans plus aucun intermédiaire. D’un mot Bartimée dit à la fois, son désir et sa souffrance, et cet acte de parole le délivre de sa cécité. Jésus ne peut que confirmer ce qui est déjà advenu : « Ta foi t’a sauvé ! » Une vraie relation est établie traversant tous les obstacles : elle permet une vraie rencontre des désirs : la foi sauve ! Elle permet à Jésus de rejoindre en chacun le désir de vivre. Il n’appelle pas Bartimée à le suivre ; il le laisse à sa liberté, mais spontanément celui-ci le suit sur le chemin. Ultime disciple en quittant Jéricho, la vie de Zachée l’a rencontré en vérité aussi. Premier disciple peut-être qui l’accompagne de l’intérieur dans sa montée vers Jérusalem.
Je vous propose de terminer l’homélie en chantant un beau texte de Didier Rimaud :
Mendiant du jour sur une mélodie d’Étienne Daniel
1/ Mendiant du jour, je te prends dans mes mains,
comme on prend dans sa main la lampe pour la nuit :
et tu deviens la Nuée qui dissout les ténèbres.
la Nuée qui dissout les ténèbres.
2/ Mendiant du feu, je te prends dans mes mains,
comme on prend dans sa main la flamme pour l’hiver :
et tu deviens l’Incendie qui embrase le monde.
l’Incendie qui embrase le monde.
3/ Mendiant d’espoir, je te prends dans mes mains,
comme on prend dans sa main la source pour l’été :
et tu deviens le Torrent d’une vie éternelle.
le Torrent d’une vie éternelle.
4/ Mendiant de toi, je te prends dans mes mains,
comme on prend dans sa main la perle d’un amour :
et tu deviens le Trésor pour la joie du prodigue.
le Trésor pour la joie du prodigue.
5/ Mendiant de Dieu, je te prends dans mes mains,
mais tu prends dans ta main la mienne pour ce jour :
et je deviens l’envoyé aux mendiants de la terre.
l’envoyé aux mendiants de la terre.