« Vends ce que tu as et suis-moi »
(Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 10, 17-30)
C’est la seule rencontre dans l’évangile de Marc où l’homme ne demande pas à Jésus un miracle ou un exorcisme, il ne vient pas tendre un piège à Jésus : il vient lui demander un conseil de vie car il voit en lui un maître qui fait du bien. « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ». Seuls héritent ceux qui ont droit à l’héritage, c’est-à-dire les membres du peuple élu et il en fait partie. Sa question est inquiète, intranquille, comme s’il avait peur de ne pas faire ce qui est bien dans un « donnant-donnant » ou dans un respect scrupuleux de la loi. Jésus prend très à cœur la demande de l’homme et ouvre deux chemins :
- « Dieu seul est bon ! » C’est la première table de la loi : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison d’esclavage. Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi. » C’est inscrit dans le corps de notre histoire que c’est bien Dieu qui libère et c’est sa bonté qui fait vivre. Auprès de lui je ne crains rien.
- Jésus énumère les commandements du Décalogue qui concernent le prochain avec deux changements significatifs : il élargit l’interdit de la convoitise en « ne fais de tort à personne » Il n’y a plus de limite clanique, le prochain devient toute personne que je rencontre. De plus, il change l’ordre de l’énumération des commandements et termine par l’unique commandement positif : « Honore ton père et ta mère » Les interdits sont des balises hors desquelles la vie humaine n’est possible. Honorer son père et sa mère ouvre un espace sans balise. C’est à chacun de nous de donner un contenu… Jésus sort du « donnant-donnant » et demande d’inventer jusqu’au bout la relation avec son père et sa mère pour en devenir l’héritier.
La réponse de l’homme a quelque chose de très naïf : « j’ai tout juste ! J’ai 20/20 depuis ma jeunesse ! » et Jésus craque : « Il pose son regard sur lui et il l’aima ». Voilà la rencontre personnelle avec Jésus, voilà l’intensité de la relation qu’il instaure avec l’homme dont on ne connait pas le nom, mais qui peut être toi ou moi. Jésus ouvre cet homme à une autre logique que le « donnant-donnant » pour lui proposer le chemin de son propre désir en l’invitant à consentir au « manque » Vendre ses biens, les donner aux pauvres et suivre Jésus c’est entendre l’invitation faite à tout homme de « perdre sa vie » pour la « sauver » c’est passer du registre de l’héritage à celui de la découverte émerveillée d’un trésor que l’on reçoit en rencontrant les autres, les proches, les petits. Cet homme n’est pas encore prêt à vivre ce manque et il s’en va. Mais il accueille pour la première fois dans sa vie la tristesse, cette émotion qui lui permet de refuser la proposition de suivre Jésus et pour la première fois de désobéir… enfin. Il a accès à un sentiment personnel : la tristesse de ne plus se sentir parfait, peut-être ; la tristesse d’avoir à perdre tous les biens auxquels il est presque identifié, dont cette perfection morale qui faisait son honneur. Cela va le faire sans doute mûrir… mais Jésus poursuit sa réflexion plus loin en parlant de la difficulté de ce travail de perte ou de manque…
Marie Balmary, psychanalyste qui lit chaque semaine la bible avec un groupe d’amis, propose d’interpréter comme on le ferait d’un rêve la phrase « il est plus facile à un chameau d’entrer par un chas d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu » Le chameau représenterait l’homme riche qui s’agenouille devant Jésus et lui demande comment faire davantage… Marie Balmary précise : « pour cet homme encore chameau (le plus gros animal domestique) le passage vers la vie est un chas d’aiguille (le plus petit orifice). La loi observée pour elle-même est dure comme du métal, presque entièrement fermée. Juste une ouverture, un trou d’aiguille. Alors que la loi de la relation avec autrui, le partage avec l’autre, est une matrice, un lieu vivant de développement qui un jour, en se dilatant, permettra à l’enfant de naître. A la vie éternelle.
Au fond, Jésus, en regardant cet homme et en l’aimant, le rencontre en vérité et lui fait vivre l’expérience d’une relation d’altérité, relation qui nous sauve de la soumission à la loi et à l’idolâtrie de la richesse et donne la liberté de désirer et de vivre l’éternité du Royaume. Blaise Pascal a su traduire cette expérience de l’éternité dans cette belle phrase : « Console-toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé ».
Amen.