Dimanche 28 juillet 2024 – 17e dimanche du Temps Ordinaire–Homélie du P. Claude Charvet sj

« Il distribua les pains aux convives, autant qu’ils en voulaient »
(Saint Jean, 6, 1-15)

La foule, la foule nombreuse, la foule que l’on peut compter, la foule qui bouge le long de la mer de Galilée, la foule qui se rassemble à la Basilique Saint-Denis pour prier avec les athlètes jeudi soir ; vendredi la foule qui regarde la flamme olympique partir de la Basilique-Cathédrale pour aller rejoindre les délégations d’athlètes sur les bateaux le long de la Seine du pont de Sully jusqu’au pont Mirabeau après la tour Eiffel. Plus de 10 000 athlètes au village olympique tout près de chez nous, plus de 300 000 touristes le long de la Seine, plus d’un milliard de personnes devant leurs écrans pour la grande parade de Vendredi pour ouvrir les JO en beauté, rassembler des peuples pendant 17 jours pour vivre une vraie trêve, pour nous émerveiller de voir des femmes et des hommes expérimenter la devise des JO : « plus vite, plus haut, plus fort- ensemble ». Nous avons vraiment matière pour rendre grâce, partager nos étonnements, participer à l’accueil, vivre sans peur les rencontres… Et on voit bien aussi ce matin dans les lectures que Jésus n’a pas peur de la foule affamée de signes ; il se soucie d’elle, il prend des initiatives pour répondre à ses besoins, de pain, de fête, de fraternité…Suivons le dans ce récit qui se retrouve 6 fois dans les évangiles et qui est surtout rythmé par la liturgie eucharistique.

La première lecture éclaire de façon essentielle le récit évangélique : la nourriture (20 pains d’orge et du grain frais) est apportée à Elisée par un tiers, comme elle est apportée à Jésus par un tiers, un jeune garçon (5 pains d’orges et 2 poissons) : dans les deux cas, ce n’est pas assez pour tant de monde. Mais Elisée comme Jésus font faire l’expérience qu’avec peu de pain et de poissons, on nourrit en abondance et qu’il y a des restes. C’est cette disproportion entre l’affluence des bouches à nourrir et le peu de ressources dont on dispose qui est un des ressorts du récit et qui va faire signe.

Jésus a l’initiative pour tout : c’est la Pâque des juifs mais aussi sa Pâque à lui quand il donnera, dans sa mort et sa résurrection, nourriture et vie au nouveau peuple de Dieu dont l’Eucharistie est le mémorial et dont la multiplication des pains est le signe à l’avance. Pour Jésus, la foule est là. Puisque les gens sont là, qu’ils viennent vers lui, il faut qu’ils mangent. Il faut s’occuper d’eux. C’est normal. Jean ne dit pas du tout comme on le trouve chez Marc, que « Jésus a pitié de cette foule et que les gens vont défaillir ». Jean laisse plutôt entendre une double dimension : terrestre (les gens viennent à Jésus, ils ont faim et il faut qu’ils mangent), mais aussi céleste (le rassemblement de tous les hommes à la fin des temps.) comme s’il fallait tenir à la fois le travail de l’homme et le don de Dieu. Jésus s’implique complètement dans la question qu’il pose à Philippe : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » La question de la faim des hommes concerne non seulement les hommes mais aussi Jésus, le Seigneur, le roi de Gloire…

Philippe peut répondre par des chiffres : « le salaire de 200 journées de travail ne suffiraient pas pour que chacun reçoive un peu de pain ». C’est un aveu d’impuissance que l’on connait bien les uns et les autres, en fin de journée ou en fin de mois : On n’y arrive plus, ce n’est pas possible de vivre…C’est décourageant ! André nous fait passer à un autre niveau en présentant un jeune garçon qui remet ses vivres, toutes ses vivres, son vivre, sa vie. Il consent à être démuni, il entre dans une générosité totale et s’en remet au Seigneur pour le reste. Voilà la juste position du croyant : « Crois en Dieu comme si tout dépendait de toi et ingénie-toi comme si tout dépendait de Dieu » Parce que je crois que c’est Dieu (par Jésus) qui nourrit les hommes, il faut que moi je fasse tout pour qu’ils mangent. En recevant la générosité du garçon, Jésus en fait le signe de la générosité de Dieu. La communion de Dieu et des hommes est signifiée ici dans cette réciprocité. Alors on peut entendre l’ordre de Jésus : « Faites asseoir les gens » comme le début d’un vrai repas que l’on prend ensemble, pas un petit casse-croûte sur le pouce. Une vraie table, sur des prés d’herbe fraîche, une vraie assemblée structurée, comme pour l’Eucharistie. C’est Jésus qui prend le pain, rend grâce, le distribue aux convives. C’est lui qui donne et cela renvoie à ce qu’il formulera de son mystère de Mort et de Résurrection : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. »

« Quand ils eurent mangé à leur faim, il dit à ses disciples : ramassez les morceaux en surplus, pour que rien ne se perde ». Les rôles sont bien distingués : Jésus donne, les apôtres sont chargés de rassembler les surplus, la surabondance de la générosité de Dieu, pour que les restes ne soient pas perdus : autre le semeur, autre les moissonneurs. Jésus a fait le travail de Dieu, les disciples prennent en charge la vie de l’assemblée.

L’assemblée, en voyant ce signe, s’exclame : « C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde ». Il y a une belle unanimité, les gens sont contents et ils continueraient bien à chanter les louanges de Jésus. Mais cette unanimité ne va pas durer parce que Jésus sent que cet enthousiasme des belles fêtes ne prend pas assez en compte tout le chemin qu’il faudra faire pour entrer dans le mystère de sa mort résurrection : il va bien recevoir une couronne qui le fera roi des juifs, mais ce sera une couronne d’épines. Il partagera bien le pain de l’Eucharistie, mais en livrant son corps à la mort. C’est dans le secret et dans la solitude avec son Père qu’il va nous préparer un repas où nous pourrons le reconnaître à la fraction du pain. Amen.