« Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (Mc 9, 2-10)
Nous sommes invités à repérer les lieux où nous rencontrons Dieu, ou Jésus le Fils de Dieu. Dans les textes d’aujourd’hui, il semble que la montagne soit un des lieux privilégiés pour cette rencontre mais les expériences sont bien différentes.
Pour Abraham, la montagne devient le lieu de l’épreuve : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai. » Dans l’holocauste, la victime est entièrement consumée, en offrande à Dieu. Il est donc demandé à Abraham de remettre totalement à Dieu, son fils bien-aimé promis par Dieu, si désiré, tant attendu, celui avec qui Dieu fait une alliance éternelle. Abraham, montant sur la montagne au même pas qu’Isaac, porte en lui une angoisse mortelle qu’Isaac formule bien : « Voilà le feu et le bois, mais où est l’agneau pour le sacrifice ? » Abraham répond : « Dieu saura bien trouver l’agneau pour l’holocauste, mon fils. » Cette réponse de foi radicale ne va pas sans questionnement : « Qui est ce Dieu qui va jusqu’à demander d’offrir en sacrifice la personne que j’aime le plus au monde ? » Ils continuent à marcher tous deux ensemble, en silence. Heureusement l’ange intervient au dernier moment : « Ne porte pas la main sur le garçon ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique… Je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer.» L’épreuve d’Abraham est ce lent travail intérieur qui oblige l’homme à croire que Dieu veut changer le mal en bien pour que préserver la vie d’Isaac, et à travers lui toute la descendance d’Abraham. Dieu conclut avec Isaac et tout homme une alliance pour vivre. Dieu fait passer de la malédiction à la bénédiction, de la mort à la vie celui qu’il appelle par son nom. C’est une bénédiction aussi pour toutes les nations de la terre qui descendent d’Abraham. A nous d’écouter sa voix.
Moïse a su monter 40 jours sur la montagne pour recevoir et écrire les deux tables de la loi. « Il ne savait pas que son visage rayonnait de lumière depuis qu’il avait parlé avec le Seigneur. » (Ex 34,29) Mais il avait aussi un lieu de rendez-vous régulier sous la tente de la rencontre, un peu à l’écart du camp. « Le Seigneur parlait avec Moïse face à face, comme on parle d’homme à homme. » (Ex33,11)
Elie, sur la montagne, sait discerner dans les passages de Dieu que Dieu n’’est pas dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais que Dieu était dans « le murmure d’une brise légère. Aussitôt qu’il l’entendit, Elie se couvrit le visage avec son manteau. » (1R 19, 12) Cette voix de fin silence va devenir un grand lieu de rencontre des hommes avec Dieu.
Six jours après la profession de foi de Pierre à Césarée et la première annonce de sa mort et de sa résurrection, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, ceux qui avaient été témoins du retour à la vie de la fille de Jaïre ; il monte avec eux sur la montagne. Les trois apôtres deviennent témoins de sa transfiguration. A la suite Moïse, ils voient Jésus avec des « vêtements resplendissants d’une blancheur telle que personne ne peut obtenir une blancheur pareille. » C’est comme si la divinité de Jésus apparaissait totalement dans son humanité. Luc note que Jésus s‘entretient avec Elie et Moïse : « ils parlaient de son départ qu’il allait accomplir à Jérusalem. Ils virent la gloire de Jésus et les deux hommes à se côtés.» (Lc 9,31-32) Survint une nuée et une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils Bien-aimé : écoutez-le » Comme à son baptême, Dieu désigne Jésus comme son Fils bien-aimé. C’est le même terme qui est employé pour désigner Isaac, le fils d’Abraham, « ton unique, celui que tu aimes.» (Gn22,9)
Autrement dit, sur le chemin qui le mène à Jérusalem où il va être arrêté, condamné à mort, crucifié, mourir et ressusciter, Jésus initie ses trois apôtres au mystère de sa mort et de sa résurrection. Il avait déjà permis à Abraham, Moïse et Elie d’entrer dans cette expérience de l’alliance que Dieu conclut avec les hommes : passer de la malédiction à la bénédiction, de la mort à la vie, de la désolation à la consolation : Dieu nous crée pour que nous soyons nous aussi ses enfants bien-aimés, comme Isaac, comme Jésus. Dieu nous crée pour que nous puissions lui dire en toute confiance : « Notre Père ». A nous d’entendre cette parole d’alliance nouvelle et éternelle que nous renouvelons à chaque Eucharistie. A nous de poursuivre notre route avec Jésus pendant ce temps de Carême, dans le fin silence de notre prière, dans une vie plus sobre, dans le partage fraternel des choses les plus belles et les plus difficiles de notre vie. Que nous sachions cette semaine avancer sur ce chemin, soutenus par la prière de chacun. Amen.